44 Réveillon dans les bois

Publié le par LeMol

Réveillon dans les bois  ( fabliau rustique n°14)31/12/2008 23h25


Il avait choisi cette forêt non pour sa proximité, mais à cause de la prestance de ses chênes qui lui avaient toujours parus plus magiques que les sapins. Sans doute pour la part de frisson qui accompagnait la pensée de ses arbres majestueux auxquels les anciens accrochaient volontiers les pendus, tandis que les raides conifères ne pouvaient prétendre dans le meilleur des cas qu’aux clinquantes boules et guirlandes de nos réjouissances annuelles. Où avait-il entendu parler de la légende? Pourquoi un sceptique comme lui s’était-il empressé d’y adhérer ? Certainement par défi, ou par soucis de rompre avec la monotonie des jours. C’est vrai qu’on était le 31 décembre. Le passage d’une année, malgré l’expérience qui s’accumule, reste encore le prétexte d’une espérance, même dégagée des exaltations anciennes. En vérité, il n’attendait rien et son contraire. Il quitta sa voiture et marcha longtemps le long d’une allée assez droite avant de s’enfoncer au hasard dans les taillis. Une lune propice éclairait généreusement ses pas. Il progressa longtemps en changeant souvent d’orientation comme pour se perdre. Il avait l’air un peu ridicule avec son costume de soirée et ses bottes en caoutchouc, mais personne n’était là pour le contempler. Sauf un marcassin qui trottait à ses pieds depuis un petit moment. Celui-ci ne semblait pas inquiet de la présence d’un homme. Au contraire, il lui tendit la patte assez courtoisement en demandant : « tu en es, man ? ». Pour ne pas vexer le marcassin, il ne montra aucun signe d’étonnement, et répondit aussitôt qu’il espérait ne pas arriver en retard et avoua ne pas savoir par où se rendre au fameux banquet annuel du Grand Forestier (il improvisa ce titre car la légende n’en donnait pas mention). Le marcassin ne put retenir un sonore éclat de rire à se tordre le grouin qui décrocha de sa guirlande une chauve souris décolorée et envoya bouler une musaraigne multicolore jusqu’au fond de son trou : « c’est pas un banquet, c’est une teuf man ! The méga teuf ! La big de big de l’année, avec la sono la plus monstrueuse qu’on n’ait jamais entendue et DJ. Wolf himself aux manettes! Des meufs, tout ç’qui faut, on va décoller grave ! Suis moi, tu vas pleurer ta mère, wahhhhou ! ». Il laissa le marcassin s’enfoncer fébrilement dans les buissons. Il se trouvait décontenancé. Cette fête ne correspondait pas à la légende, en tous cas pas à la sienne. Déjà au loin résonnaient les premiers échos du « bal ». Il ne savait plus dans quelle direction retrouver sa voiture.

 

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